
(English version follows)
Au cours d’une assemblée publique, la conseillère Véronique Tremblay, on s’en souviendra, a lancé que Verdun se soucie bien plus des adolescents que des couleuvres. Cet élan populiste visait à justifier la décision de l’Arrondissement d’implanter une piste à rouleaux à L’Île-des-Sœurs, dans un habitat d’espèces menacées, tout près du Boisé Saint-Paul.
Ce n’est évidemment pas ainsi qu’il faut aborder les problèmes liés à la biodiversité. On ne peut opposer les ados aux reptiles ou les humains au reste des animaux. Nous sommes tous sur le même bateau, ou, mieux encore, sur la même île. On devrait y trouver de la place pour les uns et pour les autres.
Bien sûr, la couleuvre brune ne gagnera pas un concours de popularité, même si on peut la trouver mignonne. Les reptiles, on le sait, n’inspirent pas spontanément l’affection.
Ce petit serpent urbain a pourtant des mœurs plutôt sympathiques. Ainsi l’hiver, ses membres sont regroupés et enroulés les uns sur les autres. Qui plus est : dans la plus grande diversité. Qu’on en juge : dans le lot bien serré, on peut apercevoir, outre la couleuvre brune, la couleuvre rayée, la couleuvre verte, la couleuvre à ventre rouge et la couleuvre tachetée. Mieux encore, la couleuvre brune peut accueillir dans son hibernacle le crapaud d’Amérique, la rainette faux-grillon de l’Ouest et plusieurs espèces d’invertébrés.
Bref, une bonne façon de se réchauffer et de régler la crise du logement, le tout sans le moindre racisme et dans un merveilleux esprit de collaboration ! Qui dit mieux ?
En tout cas, c’est ce que j’ai lu. Moi, je n’aurais jamais osé aller voir ce qui se passe sous ces tas de pierres, car ce petit monde me fout la trouille.
« Sur le plan de l’écosystème, la couleuvre brune joue un rôle important », peut-on lire dans un rapport rédigé pour le ministère des Ressources naturelles et la Faune. Sa présence dans un milieu permet en effet de faire le lien entre des organismes de petite taille, comme les limaces et les escargots, vers des prédateurs plus gros, comme les oiseaux de proie, les ratons laveurs ou encore les moufettes. De plus, sa présence est jugée bénéfique pour les jardiniers, car ce serpent se nourrit d’insectes et de mollusques considérés comme nuisibles.
Il existe une autre bonne raison de vouloir protéger la biodiversité, dont fait partie la discrète couleuvre brune. Nabil Wakim, journaliste au Monde, fait remarquer que tous les êtres vivants qui nous entourent montrent ce qui ne va pas dans nos sociétés.
Prenez les moineaux, dont les populations ont diminué de moitié en Europe depuis 40 ans ; ils sont en fait victimes des pesticides. « Cet oiseau est pourtant l’un des plus proches de nous, tant il s’est habitué à la proximité des humains », note Wakim. Ce qui arrive à cette espèce nous guette aussi, si nous n’y prenons pas garde.
Que peut bien nous apprendre la couleuvre brune ? Comme Alain Bossé et moi l’avons expliqué dans un article récent pour Le journal de L’Île-des-Sœurs, elle est menacée par la densification et par l’urbanisation. L’empiétement urbain érode et isole ses populations.
Jusqu’à récemment, à la lisière du Boisée Saint-Paul, sur cette friche arbustive où l’on veut aménager une pumptrack, cette couleuvre était bien présente. « Dans ce secteur bien protégé, sans autos et presque sans vélos, avons-nous écrit, ce petit reptile pouvait se déplacer librement, sans risque d’être écrapouti. » Ce n’est plus le cas depuis que Verdun a fait ériger une clôture autour du terrain et entrepris d’y déloger les reptiles.
Si Verdun va de l’avant, la couleuvre brune, déjà placée sur la liste des espèces menacées ou vulnérables au Québec, risque de disparaître de L’Île-des-Sœurs. En effet, le succès des déplacements d’amphibiens, de serpents et de tortues a été évalué à 19 % par une étude Dodd et Seigel en 1991. Je doute que les statistiques se soient améliorées depuis.
Il faut se poser la question : avons-nous vraiment besoin de bétonner et d’asphalter un lieu réputé pour sa biodiversité afin de faire tourner des trottinettes, des planches à roulettes et des vélos ? D’autant qu’ils pourraient aller tournoyer et virevolter ailleurs, sur un terrain déjà minéralisé.
Comme nos couleuvres, nous aussi, êtres humains, sommes menacés par la densification et l’urbanisation de notre petite île. Peut-être sommes-nous déjà allés trop loin. Je plaide d’ailleurs un peu coupable puisque j’habite moi-même une tour érigée sur un terrain où poussait jadis une forêt.
Peut-être le temps est-il venu de limiter davantage le développement sur L’Île-des-Sœurs. Peut-être faut-il désormais chercher à conserver ce qu’il reste de ce qui devait être au départ une cité-jardin. Tout comme les couleuvres brunes, ses 22 000 résidents pourraient continuer à y vivre dans une douce tranquillité, à deux pas d’un centre-ville animé. Le bonheur, quoi !
Mais sans doute est-ce un rêve.
Paul Roux

THE BROWN SNAKE AND US
At a public meeting, Councillor Véronique Tremblay, remember this, declared that Verdun cares far more about teenagers than about brown snakes. This populist outburst was meant to justify the Borough’s decision to build a pumptrack on Nuns’ Island, in a habitat of threatened species, right next to the Saint-Paul Woodland.
That is obviously not the right way to approach issues related to biodiversity. We can’t pit teenagers against reptiles, or humans against the rest of the animal kingdom. We’re all in the same boat, or better yet, on the same island. There should be space for everyone.
Of course, the brown snake won’t win a popularity contest, even if one might find it kind of cute. Reptiles, as we know, don’t typically inspire affection.
Yet this little urban serpent has rather sociable habits. In winter, for example, members of the species huddle together in coils. And what’s more: with impressive diversity. Picture this: in that tightly packed group, you might spot, along with the brown snake, the garter snake, the green snake, the red-bellied snake, and the northern ringneck snake. Even better, the brown snake might share its hibernaculum with the American toad, the western chorus frog, and several invertebrate species.
In short, a great way to stay warm and solve the housing crisis, all without a trace of racism and in a wonderful spirit of cooperation! Who could ask for more?
In any case, that’s what I’ve read. Personally, I’d never dare peek under those piles of rocks, because that little world gives me the creeps.
"From an ecosystem perspective, the brown snake plays an important role," reads a report prepared for the Ministry of Natural Resources and Wildlife. Its presence helps connect small organisms, such as slugs and snails, to larger predators, such as birds of prey, raccoons, and skunks. Moreover, its presence is seen as beneficial to gardeners, since it feeds on insects and mollusks considered harmful.
There’s another good reason to protect biodiversity, of which the discreet brown snake is a part. Nabil Wakim, a journalist at Le Monde, points out that all living beings around us reflect what’s wrong in our societies.
Take sparrows, whose populations have halved in Europe over the past 40 years; they are victims of pesticides. "This bird is one of the closest to us, having adapted so well to human proximity," notes Wakim. What happens to that species could just as easily happen to us if we’re not careful.
What might the brown snake teach us? As Alain Bossé and I explained in a recent article for Le Journal de L’Île-des-Sœurs, it is threatened by densification and urbanization. Urban encroachment erodes and isolates its populations.
Until recently, at the edge of the Saint-Paul Woodland, on that shrubby wasteland where a pumptrack is now planned, the brown snake was still thriving. "In this well-protected area, with no cars and almost no bikes," we wrote, "this little reptile could move freely, without risk of getting squashed." That’s no longer the case since Verdun erected a fence around the land and began removing reptiles from the site.
If Verdun goes ahead, the brown snake already on the list of threatened or vulnerable species in Quebec risks disappearing from Nuns’ Island. In fact, a study by Dodd and Seigel in 1991 estimated the success rate of relocating amphibians, snakes, and turtles at only 19%. I doubt the numbers have improved since then.
We must ask ourselves: do we really need to pave over and asphalt a place renowned for its biodiversity just to ride scooters, skateboards, and bikes? Especially when those could easily whirl and spin somewhere else, on land already urbanized.
Like our snakes, we humans too are threatened by the densification and urbanization of our little island. Perhaps we’ve already gone too far. I admit I’m partly to blame, as I live in a tower built on what was once forested land.
Maybe the time has come to further limit development on Nuns’ Island. Perhaps we should now focus on preserving what remains of what was originally intended to be a garden city. Just like the brown snakes, its 22,000 residents could continue to live in peaceful quiet, just steps away from a lively downtown.
Happiness, really !
But perhaps that's just a dream.
Paul Roux